PAR CHARLES VINCENT
Je ne connais rien aux brebis, mais j’aime le fromage. Peut-être un peu trop, d’ailleurs. C’est du moins l’avis de mon médecin. J’aime aussi rencontrer des gens sympathiques et dynamiques, des gens qui ont des rêves et qui les habitent, pleinement. J’ai donc trouvé largement mon compte en me rendant à la fromagerie NouvelleFrance, à Racine.
J’ai découvert cette entreprise par hasard, ce qui est plutôt étonnant car leur principal fromage, le Zacharie Cloutier, a fait l’objet d’un intense battage médiatique l’an dernier quand il a remporté quatre prix caséus au concours des fromages fins du Québec, dont le CASEUS d’Or et le titre de meilleur fromage au lait cru. Un exploit inégalé dans l’histoire : jamais un même fromage n’avait remporté autant de prix, et encore moins, à sa première année d’existence.
L’hiver faisait encore valoir ses droits quand je suis arrivé à Racine : il neigeait et le vent était glacial, désagréable. On était pourtant à quelques jours du «joli mois de mai». Drôle d’hiver, drôle de printemps… Sur place, Jean-Paul m’attendait. Jean-Paul, c’est le frère de Marie-Chantal, et tous les deux sont propriétaires de l’entreprise. La bergerie est à Racine et le fromage, lui, est fabriqué à Sainte-Élizabeth de Warwick, du moins pour l’instant.
Jean-Paul gère les premières installations, Marie-Chantal, les secondes. C’est leur entente.
Au téléphone, j’avais convenu avec Marie-Chantal que ce soir-là, j’allais me familiariser avec la partie «lait» de l’aventure fromagère, laquelle est indissociable, il va sans dire, de l’aspect brebis de la chose. Le côté fromage, lui, allait venir plus tard (dans un prochain article!). Jean-Paul allait donc me faire faire le tour du propriétaire; Marie-Chantal nous rejoindrait plus tard, après sa journée de travail à Sainte-Élizabeth de Warwick.
On entre dans une bergerie comme dans un moulin, je peux en témoigner. J’ai tiré le loquet, fait le tour de la grange avant de trouver Jean-Paul qui était affairé à préparer la traite, comme il le fait matin et soir, tous les jours de la semaine, toutes les semaines de l’année. Traire ses quelque 60 brebis lui prend à peu près 45 minutes (mais les choses vont bientôt changer : le «contingent» de brebis laitières augmentera jusqu’à 200-220 têtes, au total, pour 2012).
La bergerie NouvelleFrance est établie dans une ancienne étable que le grand-père de Marie-Chantal et de Jean-Paul a acheté il y a une cinquantaine d’années, en plein cœur du village de Racine. À l’époque où Marie-Chantal en a eu assez de travailler pour les autres, quand elle a pris la décision de lancer sa propre fromagerie, en 2008, la grange n’hébergeait plus d’animaux. Le timing était donc parfait.
Minus la chipie
Jean-Paul et Marie-Chantal s’animent au contact de leurs moutons. Ils les apostrophent haut et fort, leur font la jasette comme on parlerait à son chat, les gratouillent sous le menton et s’enquièrent de leur sort. De l’avis même de sa sœur, Jean-Paul est passé maître dans l’art de leur trouver des noms. Il y a Minus, Carolinette, Junior (le bébé de Minus) et Pamela, et tous les autres dont j’ai oublié les noms et les particularités.
Quand elle était agnelle, Minus a séjourné à l’infirmerie, où elle a été nourrie au biberon. Il faut la voir aujourd’hui pour constater que son nom ne lui va plus du tout. La grosse brebis est l’une des plus productrices du troupeau. C’est la chouchou de Jean-Paul. Quand il passe près de l’enclos, il la reconnaît tout de suite et lui file une ou deux poignées de grain. Les autres ne disent rien : en bons moutons, ils suivent la scène du regard, sans bêler.
Juste entre vous et moi, je crois que ce traitement de faveur n’a pas servi Minus. (Ne le dites pas à Jean-Paul, mais je la trouve plutôt mal élevée, moi, Minus). Pendant que je prenais mes photos, elle m’a grignoté les poches, l’air de me dire «Écoute chose, j’veux bien que tu rentres dans mon enclos, mais va falloir que tu me donnes un peu de bouffe en échange. Pis si t’es pas content, j’vais l’dire à Jean-Paul». La chipie!
La fierté dans les yeux
La traite comme telle débute quand Jean-Paul ouvre la porte. Les plus dociles font déjà le pied de grue sur la montée. Zélées ou pas, toutes connaissent la suite par cœur : sur le quai de traite, la tête prise dans un carcan, elles auront droit à quelques grains de maïs, distribués dans une mangeoire, pendant qu’on leur nettoiera les trayons à la débarbouillette et qu’on leur installera la trayeuse qui les libérera du quelque 2 litres de lait qu’elles produisent quotidiennement.
Les activités de la bergerie sont bien rodées : l’approvisionnement, la gestion du cheptel, l’alimentation, la production, tout fait l’objet d’analyses, de réflexions et d’améliorations. Après un départ canon, l’entreprise est en pleine expansion. Le défi est aujourd’hui de subvenir à la demande et, pour ce faire, les deux jeunes entrepreneurs font preuve de créativité et d’intelligence, au point de remporter des prix en entreprenariat.
Ce soir-là, quand on s’est quittés, il était passé 20 heures. Il m’a semblé que leur journée était loin d’être terminée. Levés aux petites heures du matin, ils avaient tous les deux abattu une charge colossale de travail (les travaux à la ferme, la paperasse, les négociations, les ententes, etc.), autant sûrement que la veille et que l’avant-veille. Les yeux rougis par la fatigue, ils avaient quand même l’air heureux, fiers de leurs réussites. Et pour cause!
Sur le chemin du retour, je me suis dit qu’il me tardait déjà de les revoir, que j’avais bien hâte d’en connaître davantage sur leur univers. Je me suis dit aussi que je mourrais d’envie de partager en famille la pointe de Zacharie Cloutier qu’ils m’ont gentiment donnée. Car, je dois le reconnaître, leur fromage est excellent. Vraiment excellent! Et n’en déplaise à mon médecin, je compte bien tester régulièrement la qualité du produit.
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Vous pouvez suivre la fromagerie NouvelleFrance sur Facebook.
Sur Internet : www.fromagerienouvellefrance.com.
Adresses : 305 rue Principale, Racine, Qc, J0E 1Y0, 819-578-7234 et mch_34@hotmail.com.
Pour information, le Zacharie Cloutier est un fromage de lait non-pasteurisé de brebis, à pâte ferme pressée demi-cuite et à croûte lavée, affiné durant six mois. Il développe des arômes de brioche au caramel et de beurre. Pour produire le Zacharie Cloutier, Marie-Chantal et Jean-Paul Houde utilisent le lait de leur troupeau de race East Friesan. Le nom du fromage a été donné en l’honneur de leur ancêtre Cloutier, arrivé en 1634.
