PAR CHARLES VINCENT
Le thermomètre indiquait 12 degrés quand j’ai attaqué la montée. Le vent s’acharnait sur un étrange banc de nuages grisonnants qui filait à vive allure dans les hauteurs de la montagne. Ça sentait la pluie, mais à la guerre comme à la guerre, quoi qu’il advienne, j’allais poser le pied sur le pic de l’Ours, le plus haut sommet du parc du mont Orford.
Je suais comme un Terre-Neuve dans un salon de bronzage quand j’ai rencontré mon premier collègue grimpeur. Je dis collègue, mais c’est plutôt présomptueux de ma part. Une machine! Frais comme une rose, le gars m’a dépassé au pas de course dans la partie où le sentier emprunte les pistes de ski. Un abrupt dénivelé taillé pour le cardio, pas tellement pour l’égo…
Du moins, pas pour le mien.
Égo ou pas, cette montée est un passage obligé puisque c’est au terme de celle-ci que débute officiellement le sentier des Crêtes. Un peu moins de quatre kilomètres de pur ravissement, sans doute l’un des plus beaux sentiers montagnards en Estrie : des points de vue panoramiques, des pitons rocheux, des nœuds et des coudes, des tertres et des vallées. De toute beauté.
Sur cette ligne de faîtes, ou de crêtes, c’est comme vous voulez, les ambiances et les surprises se succèdent à un rythme soutenu : épais tapis de mousse verte que l’on dirait avoir été déroulé par un Hobbit plutôt précautionneux; escalier de pierre que l’on jurerait taillé sur mesure pour accueillir les pas d’un géant; grosse roche en forme d’œuf de dinosaure… Nommez-les!
S’il y a bien, en cours de route, quelques trouées qui permettent d’admirer le paysage, au sud et à l’ouest, le couvert feuillu est de manière générale tellement compact que l’on se sent comme enveloppé dans un cocon. Ce qui fait que pendant l’heure et demie que dure l’ascension, j’ai comme qu’on dirait flotté sur les roches et les racines, habité par la magie des lieux.
Ce qui rend la finale encore plus majestueuse, car, là-haut, sur le pic, à 740 mètres au-dessus du niveau de la mer, le regard se porte loin. Très loin. Sur Owl’s Head, Jay Peak et les montagnes blanches, au sud; sur le lac d’Argent, le lac Parker et les collines montérégiennes, à l’ouest; sur le mont Chauve et le lac Stukely, au nord; puis sur les monts Stoke et Mégantic, à l’est.
Il faisait plutôt froid quand j’ai atteint le sommet, mais cela m’était complètement égal. J’ai gambadé d’un buton rocheux à l’autre, suivant pour ce faire les cailloux que l’on a soigneusement alignés de chaque côté du sentier. Je guettais du coin de l’oeil l’ours (on ne sait jamais!), mais des ours, ce jour-là, je n’en ai point vus. Pas étonnant, il n’y a pas grand chose à bouffer sur ledit pic.
Entre vous et moi, s’il y a bel et bien un ours qui vit là-haut, ça doit être un ours philosophe, le genre de bestiole qui plutôt que de plonger la patte dans une ruche ou dans un bosquet de framboises, se contente de réfléchir à la beauté du monde en contemplant celle autour de lui rassemblée. Et met avis que l’ours en question doit être maigre, mais comblé.
Bonne randonnée.
Cliquer pour visualiser le diaporama.